Une pratique sans compétition, accessible à tous, basée sur l’échange et la tolérance

Histoire du dojo de la Gare du Nord

La SNCF, partenaire historique de l'Aïkido en France ?

L'histoire du dojo de la Gare du Nord est liée à celle des arts martiaux en France et plus particulièrement à celle de l'Aïkido, comme le rapportent les témoignages de pratiquants de cette discipline martiale passés par ce tatami.

Un dojo plein de souvenirs pour les pratiquants de l'Aïkido

Le dojo SNCF de la Gare du Nord a connu de nombreux aménagements depuis 1940, date de la création de l'association des Cheminots Athlétic de Paris Nord (CAPN), née de la volonté de quelques employés de la SNCF passionnés de sport qui souhaitaient se retrouver ensemble pour pratiquer leur activité favorite. Messieurs Delforges et Dunière sont les fondateurs de la section «Arts Martiaux» de Paris Nord (Judo / Aïkido) présidée par Messieurs Gausset et Eclack.

Jean Delforge et Michel Dunière

De gauche à droite : Delforge, Pacay, Cieslak, Dunière

Michel Denisse leur succèdera à la tête de la section des arts martiaux de Paris Nord (Propos recueillis auprès de Geneviève Peru, épouse de Michel Denisse). En 2000, à l'arrivée de Patrice Reuschlé et à sa demande, la section Aïkido s'est désolidarisée de la section des arts martiaux et est devenue autonome. Ce dojo témoigne, très humblement, de quelques précieux moments de l'histoire de l'Aïkido en France.

Feu Masamichi Noro narrait sa rencontre avec ce qui fut son premier lieu fixe de pratique à son arrivée en France en 1961 :

« un dojo de 30 à 40 m2 avec un pilier au milieu du sol... Quand les locomotives à vapeur faisaient le plein d’eau et que l’on prenait une douche il fallait attendre patiemment ou bien repartir et se rincer chez soi ! »
— Masamichi Noro

Les rencontres du Collège des ceintures noires de judo permettaient d'assister à des démonstrations d'Aïkido faites par messieurs Delforge et Dunière... Et c'est à cette occasion que Michel Bécart Shihan put découvrir l'Aïkido et le dojo de la Gare du Nord :

« J’ai monté les escaliers à la recherche du Dojo, il y avait des portes partout mais il n’y avait pas marqué «Dojo». Je me souviens de m’être promené sur les toits de la gare du Nord, sur les coursives, à la recherche de ce Dojo. »
— Michel Bécart - Shihan

Maîtres Noro et Tamura se connaissant avant sont arrivés ensemble. Delforge, champion de France amateur de boxe en 1948, faisait vibrer le poteau en s’exerçant dans ses frappes.

Un lieu dont l'histoire porte la marque du développement de l'Aïkido en France

Revenons sur les liens entre Judo et Aïkido : utiliser la passerelle du Judo était un moyen sûr de trouver des pratiquants déjà sensibles aux arts martiaux... et de financer le séjour des Japonais ! En 1933, Jigoro Kano (fondateur du Judo) tînt sa première conférence sur cette discipline en France. Les pratiquants de Judo, essentiellement Franciliens à l'époque, avaient déjà la chance de voir des professeurs japonais venir enseigner lors de stages. Les démonstrations d'arts martiaux se faisaient alors sous l'égide de la Fédération de Judo (créée en 1942). L'Aïkido n'échappera pas à la règle lorsque aura lieu sa première démonstration.

Arrivé en France en juin 1951 Minoru Mochizuki, élève direct de Jigoro Kano et de Morihei Ueshiba (fondateur de l'Aïkido) faisait «partie de la délégation culturelle du Japon pour la réunion de l'Unesco à Genève, comme expert délégué par le Kodokan pour démontrer le Judo en France, en Suisse et en Tunisie». (Source : yoseikan-aix.fr) Au cours d'une compétition internationale de Judo à Paris, il effectua la première démonstration d'Aïkido Jujutsu. Il enseignera le Judo et l'Aïkido, avant d'être remplacé par Tadashi Abe en 1952.

Il ne faut pas confondre le père (Minoru) avec son fils (Hiroo) qui était d’un niveau sensiblement inférieur, ce qu’il reconnaissait d’ailleurs humblement

Au cours d'une démonstration d'Aïkido par Mochizuki au Collège des ceintures noires de Judo, Jean Delforge, pratiquant de Judo rencontra Tadashi Abe. Les deux hommes sympathisèrent et cette amitié allait durer sept ans et demi (pour l'anecdote, à cette époque, il n'était pas rare qu'il aille le chercher régulièrement au poste de Police : Abe trouvait toujours de bonnes occasions de tester l'Aikido en grandeur nature lors de confrontations avec les mauvais garçons de Pigalle).

Jean Delforge et Tadashi Abe (Hall à la belle jardinière, tradition de la remise de cadeau au Senseï à chaque fin de saison)

En 1952, le dojo de la Gare du Nord était déjà ouvert plus ou moins officiellement. Mais c'est en 1953 que le club fut inauguré et ses statuts déposés. A l'époque la salle était au niveau de la verrière de la Gare du Nord. Au rez-de-chaussée se trouvait la douane, au premier une école SNCF et le dojo était au deuxième étage. C'était une petite salle aux équipements très sommaires, comme cela se faisait à l'époque. Pourtant les murs étaient décorés par les élèves, preuve de l'investissement des pratiquants pour l'Aïkido.

Le dojo aux murs décorés par les élèves

De gauche à droite : Jean Delforge, Michel Dunière, Bellut, Rata, Jean Marie, Chauvel

Un Shihan célèbre se rappelle avoir balayé le dojo dans tous les sens lorsqu'il était seul sur le tatami. Ce dojo obtiendra son «indépendance» vis-à-vis des autres pratiques martiales dès l'introduction de l'Aïkido en France. Ce sera un des rares lieux uniquement dédié à la pratique de l'Aïkido.

Un des premiers élèves d'Aïkido du dojo de la Gare du Nord et futur enseignant, Michel Dunière, témoigne de cette époque : Michel Dunière ami de Delforge qui pratiquaient presque au même niveau ; Delforge était tout juste un peu plus gradé que William Goldblum, futur professeur au dojo de Paris Nord, remplacé ensuite Jean-Michel Ménez et par la suite par Patrice Reuschlé.

« En 1952, nous avons commencé avec Abe en deuxième partie de l’entraînement des ceintures noires du Collège, boulevard Auguste Blanqui, à apprendre des séries de mouvements mi Aïki-Jutsu, mi Aïkido. »
— Michel Dunière

Michel Dunière (Kendo Kata)

En 1953, dans un article paru dans la revue Judo, Abe déclare que «le véritable Aïkido traditionnel et fondamental est désormais enseigné». 1952 serait selon lui le début de l'enseignement de l'Aïkido débutant et 1958 celui de l'Aïkido fondamental. Le 1er mai 1954, Tadashi Abe remettait le diplôme de 1er dan d'Aïkido à Jean Delforge et à Michel Dunière.

Il convient de faire la distinction entre l’aikido de Tadashi Abe et celui de Noro, Nakazano et Tamura. L’aikido de Abe tenait beaucoup plus (dirions nous de nos jours) de l’aiki jutsu que de l’aikido qui continua a évoluer au Japon, et était beaucoup plus souple « arrondi ».

Diplôme de Jean Delforge

Diplôme de Michel Duniere

Monsieur Delforge a progressivement laissé la direction de la salle à William Goldblum. Jean-Michel a de suite attiré son attention, non seulement à cause de son ‘gabarit » très modeste mais surtout son soucis non pas de bien faire, mais de très bien faire. Un soir le voyant « tirer la patte » William lui demande s’il s’est fait mal. « Non, non ! !!! » et devant son insistance lui confia : j’ai eu la polio et quand je suis fatigué la jambe me le rappelle ».

Ce fut mon meilleur élève, d’une gentillesse et d’une patience angélique pour reprendre, et reprendre et reprendre les détails du mouvement.

Arrivé à Marseille en 1950, Awazu Shorzo rencontre et bat les champions de l'équipe de France de l'époque et devient leur entraîneur. Jeune 6 ème Dan spécialiste du combat au sol qui enseignait en France comme assistant de Maître Kawaishi. Au cours de l'année 1959, il dispensait au dojo gare du Nord, 1 fois par mois un cours de judo. Il a terminé 9 ème Dan. Il faut comprendre, qu'au début des arts martiaux, les pratiquants pratiquaient différentes disciplines dans le même dojo. C'est encore vrai de nos jours.

Awazu SHOZO

Dédicace de Maître Kawaishi à Michel Delforge

Un autre professeur d'Aïkido de la Gare du Nord, Jean-Michel Menez, évoque l'enseignement de l'époque qui se faisait selon la méthode "Abe", basée sur la connaissance de 10 séries composées de 10 mouvements de base. La 5ème série correspondait au niveau de la ceinture noire.

Masamichi Noro, interviewé en 2011 sur les pratiques pédagogiques et les différences de l'époque entre la France et le Japon expliquait qu' «il n'y avait pas de méthodes japonaise ou française, l'enseignement était différent car, côté pratiquants, la souplesse, l'anatomie et les motivations étaient différentes et les obligeaient à adapter leurs techniques et leur science». C'était un temps où l'on payait les cours 5 francs de l'heure quand une baguette valait 25 centimes.

Mais qui sont les professeurs qui ont foulé les tatamis de la Gare du Nord à ces différentes époques ? On peut citer Abe, Nakazono, etc. Bernard Grillot, élève de Delforge, se souvient :

« Kobayashi montrait les formes puis laissait Nakazano, Noro et Tamura corriger les postures ! On a même pu y voir Katsuaki Asai. Nakazono était le «PC» pour la France et ces grands maîtres venaient voir le responsable... À l’époque, il y avait un cours par semaine, puis Nakazono est parti... »
— Bernard Grillot

De gauche à droite : Noro, Nakazano (disciple de Ueshiba et Kano)

L'enseignement a été repris par les élèves de ces différents professeurs qui ont perpétué la tradition.

Patrice Reuschlé a redynamisé la branche Aïkido du CAPN depuis septembre 2000, tout en développant d'autres clubs d'Aïkido dans Paris depuis 1996, tous liés à la SNCF. Aujourd'hui le regroupement des dojos de la SNCF à Paris, au sein de l'ACC (Aïkido Clubs Cheminots), permet d'avoir plus de 144 licenciés pratiquant dans des installations modernes. Il est bien loin le temps où les aïkidokas chutaient sur des tatamis de paille...

Ils ont enseigné l'Aïkido à la Gare du Nord

  • 1952 - 1972 : Jean Delforge, Michel Dunière

  • 1965 - 1967 : Masamichi Noro

  • 1968 - 1979 : William Goldblum

  • 1980 - 2000 : Jean-Michel Menez

  • 2000 - 2009 : Patrice Reuschlé

  • 2000 - actuellement (et mis en place par Patrice) : Bertrand Pécile, Sébastien Gervais, Gérald Ritter

L'énigme Delforge

Elève direct de Tadashi Abe, Jean Delforge défendait la même ligne d'un Aïkido «dur». Il avait affilié tout le club au Collège des ceintures noires pratiquant le Judo Traditionnel. Il est difficile de trouver sa trace dans les ouvrages liés à l'histoire de cet art martial en France alors qu'il a pourtant officié dans différents dojos comme professeur, qu'il a fait partie de l'association culturelle européenne d'Aïki-Do et a participé à la commission des grades de la FFAB dans les années 60.

On retrouve néanmoins les fondements de son enseignement sur le site d'un de ses élèves, Jean-Pierre Le Pierres (enseignant dans le club d’Ermont fondé par Jean Delforge il venait souvent à la Gare du Nord. Doté d’une charpente très puissante c’était, sur ce point l’opposé de Jean-Michel Ménez… extérieurement ; mais ils étaient les meilleurs amis du monde qui ne cherchaient qu’une chose : le mouvement le plus proche de la perfection) :
(Source : aikitai-jutsu.fr. Jean-Pierre Le Pierres, lui aussi passé par Gare du Nord (Aïkido-ryu Abe - ARA), a débuté la pratique de l'Aïkido en 1962. Et de William Goldlum un de ces proches amis)

1. Le débutant apprend l'art du combat sans armes et à distance.

C'est à ce stade que l'AIKITAI JUTSU apparait comme une méthode de combat à main vide et que l'on utilise les techniques de contrôle et de projection ainsi que les ATEMIS (coups portés aux points vitaux).

2. Étude et pratique de la technique du sabre (KEN JUTSU) avec BOKKEN (sabre en bois).

3. Étude de l'Art du combat contre plusieurs adversaires (RANDORI ou ASSAUT).

4. Étude de l'Art du combat à armes respectives (JO, KEN, BOKKEN, TANTO, TAMBO).

5. Étude du combat à mains nues contre plusieurs adversaires armés.

6. Étude du TAMBO ou Bâton court en complément des Armes traditionnelles.

Texte : Jean-Noël Bigotti
Les photographies sont issues du précieux carnet d'études de Jean Delforge (images et notes manuscrites) transmises à Bernard Grillot (6ème dan Renshi).

Carnet d'études de Jean Delforges

1956, dojo de Gare du Nord